Georges Charensol et le prix Renaudot.

Il participe à la création du Prix Renaudot en 1926, qui couronna entre autre : Marcel Aymé, Louis-Ferdinand Céline, Louis Aragon ou Jean Marie Le Clézio.


La photo du premier jury Renaudot 1926, tous journalistes :


Georges Charensol (Les Nouvelles Littéraires), Raymond de Nys (l’Intransigeant), Pierre Demartre (Le Matin), Georges Le Fèvre (Le Journal) , Noël Sabord (Paris-Midi), Marcel Espiau ( l’Eclair), Odette Pannetier (Candide), Georges Martin (Petit Journal), Gaston Picard (La Renaissance), Henri Guilac (Le Canard Enchainé)


Extraits "De Montmartre à Montparnasse",
livre d'entretiens avec Jérome GARCIN.


J'avais déjà couvert le Goncourt pour Paris-Journal et, cette année-là, je le couvrais donc pour les Nouvelles Littéraires. A cette époque-là, les délibérations des Goncourt étaient extrêmement longues et orageuses, on n'avait jamais les résultats avant une heure et demie, et comme les éditeurs n'étaient pas du tout organisés, il fallait ensuite courir à travers Paris à la recherche du lauréat. Résultat : on sautait le repas, ce qui nous ennuyait beaucoup, ".. " Alors j'ai dit aux quelques camarades qui, comme moi, suivaient le Goncourt : " Ecoutez, on devrait se retrouver à onze heures, on ferait une petite bouffe ensemble, on serait tranquilles, à midi et demie on irait chez Drouant, on aurait mangé. "
Naturellement, tous étaient enchantés et nous avons formé un groupe de dix informateurs. Nous n'étions pas du tout des critiques littéraires, j'insiste bien sur ce point, nous étions des informateurs littéraires. " .. " 

Et nous voilà réunis, nous nous étions cooptés, nous étions dix, comme les Goncourt. Et l'un de nous, je crois que c'est Gaston Picard, a dit : " Et pourquoi pendant le déjeuner, ne décernerions-nous pas aussi un prix ? "" .. "on voulait rigoler, on voulait trouver un livre drôle.


P.Benoit, L.Garros, G. Charensol (caché)

Mais voilà, malheureusement ou heureusement, en 1926, il n'y en avait pas.
En revanche, nous avons tous été emballés par le livre d'un inconnu qui s'appelait Armand Lunel, et qui avait publié un livre qui, à mon avis, reste aujourd'hui tout à fait extraordinaire, Niccolo Picavi. Nous nous sommes tous mis d'accord sur ce livre. Et nous avons été piégés.

A partir du moment où nous avions couronné un beau livre, nous ne pouvions pas l'année suivante faire au lauréat la blague de couronner un ringard. C'aurait été vraiment désobligeant pour Armand Lunel. Je le répète, nous étions piégés. Alors, à partir de ce moment-là, nous avons bien été obligés de jouer le jeu, et de couronner Marcel Aymé, Céline, etc.


Prix Renaudot -1952
Pierre Demartre - Gaston Picard - G. Charensol - Pierre Descaves - Claude-Edmonde Magny - Robert Margerit - Luc Estang
(De Montmartre à Montparnasse )

Je ne dis pas que, dans notre esprit, il n'y avait pas un peu de malice et l'arrière-pensée de rectifier les votes des Goncourts que nous approuvions rarement, mais nous nous gardâmes de le proclamer et nos relations avec nos aînés furent si bonnes qu'une fois Lucien Descaves, provisoirement brouillé avec ses collègues, vint présider notre déjeuner.

Nous eûmes l'idée d'inviter à notre table l'année suivante Armand Lunel, et la tradition depuis s'est si bien maintenue que deux seulement de nos lauréats n'ont pas participé à nos déjeuners " .. ".

Certains de ces repas, égayés par les calembours de Gaston Picard, furent pittoresques, tel celui que présida Louis-Ferdinand Céline, ou celui qui nous valut un beau discours de Roger Peyrefitte qu'il fit imprimer sur vélin au nom de chacun de nous.

L'un de ces déjeuners aurait pu mal tourner. Au moment de passer à table Marcel Aymé fut pris d'une crise nerveuse si violente qu'il faillit se jeter par la fenêtre. Il reprit rapidement le contrôle de lui-même et, ayant déjà tout oublié, il voulut participer au déjeuner. Nous eûmes du mal à le persuader qu'il valait mieux qu'il se laisse reconduire chez lui.


Prix Renaudot -1958
G. Charensol - Michel Butor - Gaston Picard - Francis Ambriére

Au sujet de Robert Denoël : "D’une rive à l’autre"

Entre 1931 et 1939 L'éditeur Robert Denoël remporte sept fois le prix Renaudot avec entre autres Céline et Aragon.

Après des débuts difficiles, la maison d'édition que ce dernier (Robert Denoël) avait fondée avec les capitaux fournis par l'Américain Bernard Steele, était devenue une affaire prospère, grâce, en particulier, au "Voyage au bout de la nuit". Le manuscrit parvint anonymement à Denoël et il dut se livrer à une véritable enquête policière pour mettre la main sur Louis-Ferdinand Céline. Peu après la Libération, alors que les rues de Paris n'étaient pas très sûres, il rentrait une nuit avec Jean Voilier quand leur voiture tomba en panne d'essence. Il partit en chercher. On entendit des coups de feu et on le trouva mort. En ces temps troublés on ne fit pas beaucoup d'efforts pour éclaircir ce meurtre mystérieux. Son amie reprit les éditions Denoël et publia entre autres la fameuse tétralogie "  t'Serstevens dixit  "  de Blaise Cendrars.( page 243)

J'ai retrouvé Artaud bien des années plus tard quand il monta les Cenci au Théâtre des Champs-Elysées et c'est un de mes grands souvenirs de théâtre. Il avait insufflé à sa troupe sa propre frénésie et les mots " théâtre de la cruauté " prenaient leur sens littéral. Les Cenci avaient pu être montés grâce à l'éditeur Robert Denoël, sa femme étant la protagoniste avec Artaud. Un soir que nous soupions ensemble après le spectacle, je remarquai des marques noires sur sa gorge. Elle m'avoua que son partenaire était fasciné par son rôle au point que, chaque jour, au cours de la scène où il feint de la tuer, elle craignait qu'il ne s'identifie à son personnage au point de l'étrangler réellement. Elle était terrifiée mais, comme moi, elle admirait celui qui se révélait non seulement le poète et le comédien que je connaissais depuis longtemps, mais aussi un prodigieux metteur en scène. (page 29)